Elisabeth Amblard

textes & publications




La diversité perceptive en partage :

« Mon point de départ est l’observation, du réel, des comportements naturels. Citadine, mes affinités me conduisent très souvent « à la campagne », en forêt, ou au bord de l’eau, sur le motif, à l’oxygène du végétal. Les espaces, vastes, sont alors facilement, pour un moment, les miens. Les relations se donnent à lire, le vent oriente la croissance d’un arbre, un jogger, sur une plage, fait fuir les goélands. Très loin, les projecteurs invisibles d’un stade de foot dessinent des points lumineux.

Parfois le réel s’écartèle, ou se dilate.

Certainement est-ce cela que j’investigue dans mes recherches artistiques.

Engageant de multiples pratiques (céramiques, dessins, bois, bronze, …), je conçois un alphabet formel ouvert, des pièces hétérogènes et familières, élaborées une à une, qui ont pour destination de se rencontrer en des lieux divers, au grès d’installations in situ, pour « faire sens ».

Souvent mixtes, incorporant des objets trouvés et s’intégrant à un contexte précis (herbes/céramiques/potager – à l’œil nu, Abbaye de Saint-Maurice, Clohars-Carnoët -Finistère sud, 2015 ; massacre/céramique/cor/musée – éphémères, Musée de la Vénerie, Senlis-Oise, 2017, …), les divers composants se combinent et déclenchent des organisations tant physiques que 

sémantiques, engageant ainsi les potentiels historiques et polysémiques des uns et des autres.

En les approchant ou les éloignant, je les associe, créant des ensembles temporaires, des relais et des suspends, des jeux de proximité, générant ainsi un réseau ouvert de matières et de sens. Le lieu en est le milieu géographique et poétique. »

Septembre 2018

« Chaque portion de matière peut être considérée comme un jardin plein de plantes et comme un étang plein de poissons, mais chaque rameau de chaque plante, chaque membre de l’animal, chaque goutte de ses humeurs est encore un tel jardin, un tel étang. » G. W. Leibniz, La Monadologie, §67.








A propos de Proliférations hybrides
Extrait du catalogue L’art contemporain au risque du clonage, dir. Richard Conte,
E. Amblard, « Prolifération hybride »,  Paris, Publication de la Sorbonne, 2002, p. 118-121.

« Les Plantes d’intérieur et les Belles d’un jour sont de sang et de sève mêlés. Elles prolifèrent de manière étrange, on ne sait si elles sont pacifiques. Visiblement en développement et en involution, les Plantes d’intérieur et les Belles d’un jour vivent sous l’égide de l’inquiétante étrangeté (unheimlich) désigné par S. Freud, un renvoi, un congé de la forme-unité au profit d’une auréole de choses changeantes et multiples.
Les Plantes d’intérieur investissent le lieu. Leurs motifs d’aspect premièrement végétal gagnent progressivement en organicité, en animalité même, par leur matérialité, par leur chromie, par le léger mouvement qui les anime. Elles s’insinuent, s’immiscent, se fixent, se greffent, s’accrochent.
Les Belles d’un jour évoquent le caractère hybride d’une peau de synthèse. Une peau, une mince, fragile et résistante surface. Translucide. Cette peau est mise en culture. A partir d’une matrice absente, « naissent » donc  des Belles d’un jour. Elles posent la question de l’origine et celle de l’isolement. Seules ? Elles sont à la fois organes, enveloppes évidées, appelant à être partie, et tout, en ce que leur forme semble complète. Elles manient cette ambiguïté. En leur pli, dépli et repli, elles se placent dans les signes du monde vivant, et s’associent et se distinguent les unes des autres par cette vie qui leur est propre. »
















A propos des Echappées

Extrait du catalogue de l’exposition L’art à l’orée du bois, Musée Robert Dubois-Corneau, 20 mars-8 novembre 2009, commissaire : Anne-Laure Saint-Clair. 

« Suspendues aux branches d'un cèdre séculaire, les Echappées investissent cet écrin végétal, se nichent dans ses ramifications et semblent le coloniser jusqu’à la cime.
Architectures réduites destinées aux oiseaux de capture, ces cages se sont soustraites à l’espace domestique. Leurs structures renvoient à la notion d’habitat, leurs implantations aux fabriques des jardins paysagers passés, qui ponctuent la promenade, ménagent des vues et offrent des pauses pour le flâneur.
Les Echappées se présentent à nous comme des prisons désertes, aux portes et fenêtres ouvertes.
Leurs barreaux métalliques, parfaitement ordonnancés, se libèrent dès qu’ils quittent le cadre architectural, donnant alors naissance à des courbes sinueuses, enroulées sur elles-mêmes comme des lianes. Envahies par cette végétation foisonnante, les cages peuvent être perçues comme des ruines, des vestiges d'une civilisation disparue, sur laquelle la nature reprend ses droits.
A les regarder, cages et végétal ne font qu’un. Les grilles des unes et les tiges de l’autre se fondent dans un enchevêtrement inextricable, brouillant la perception des volumes, réduisant l'architectonie des formes. Les lignes souples et spontanées des lianes contrastent avec la stricte verticalité des barreaux, opposant deux mondes, l'un industriel, mécanique, et l'autre végétal, naturel.
Les Echappées se dessinent tantôt sous la voûte, tantôt sur la robe du cèdre, dans un jeu graphique  d’ombres et de lumières. Rapprochées, leurs silhouettes aériennes et légères forment un spectre mouvant, une nuée blanche flottant dans les ramures de l'arbre.
La recherche artistique d’Elisabeth Amblard se développe en grande partie autour des principes d’organicité et de croissance végétale. La question du dessin et de la ligne demeure au cœur de ses préoccupations. Aussi choisit-elle le fil blanc, qui donne la possibilité de dessiner en blanc dans l’espace, d’esquiver l’emprise du trait de graphite et d'inverser le rapport du contraste maximum du noir sur blanc. Le blanc devient la couleur et la matière du dessin, le fil métallique blanc concentre le papier et le graphisme, permettant au dessin de s’affranchir de la feuille. »



A propos de Globes et Massacres

Agnès Foiret - Extrait du livret Monades, Consultations au conservatoire AF, 13-27 novembre 2010.

 

« Les ensembles d’Elisabeth Amblard sont à observer de près. Ce sont autant d’occurrences qui instaurent avec le spectateur une relation vigile, dictée par ce qui les fonde : une apparente légèreté et une gravité sous-jacente.

Globes et Massacres appellent à ce qu’on aille vers eux, alors même que leurs déterminations mettent au défi notre disposition à nous en rapprocher. En suivant les mots de Valéry, leur impulsion secrète répond à la vocation d’« une attention exquise à la vie que l’on veille et surveille ». C’est dire que les conjonctures qu’Elisabeth Amblard enregistre et propose à notre discernement ont la modestie de moindres signes, ici, pointés. »









A propos des Massacres
Extrait du catalogue de l’exposition L’art à l’orée du bois, Musée Robert Dubois-Corneau, 20 mars-8 novembre 2009, commissaire : Anne-Laure Saint-Clair.

 « En lieu et place des traditionnels trophées de chasse, les Massacres d'Elisabeth Amblard s’implantent dans le hall du musée, déployant avec ostentation leurs structures racinaires dont les formes ressemblent, à s’y méprendre, à celles des ramures des bois de cervidés.
Souvenirs tangibles et permanents d'une nature vaincue, ces racines d'arbres exhumées s'offrent à nous comme des preuves arrachées au sol, extraites contre leur gré de la terre nourricière.
Torturées, blessées dans leurs profondeurs, ces racines aux courbes sinueuses et sombres apparaissent comme des tentacules hostiles, menaçantes, figées à jamais après une lutte infernale. Tout comme les mensurations des massacres (
terme de chasse, 1753, bois de cerf muni de l’os frontal qui le supporte) donnent de précieuses indications sur la santé et la vigueur de l’animal abattu, la forme et l’envergure des souches pétrifiées nous informent sur la croissance passée des arbres disparus. Ces racines demeurent les témoins d’une nature indépendante et autonome, fragilisée aujourd’hui, mise à mal par l’homme. Et si les bois de cerfs, associés à la résurrection du Christ, symbolisent la vie et le renouveau, à l’inverse les Massacres donnent l’image d’une nature stoppée net. Pourtant, leur propension à faire figure les anime paradoxalement. 
A travers la vision votive et cauchemardesque d’une végétation naturalisée, Elisabeth Amblard profile les risques majeurs liés à une déforestation excessive menaçant les équilibres écologiques et climatiques.
Comme les grands animaux qui traversent les routes, la nuit, devant nos roues d’automobilistes, ses Massacres nous interpellent. A l’heure du réchauffement planétaire, quel est l’avenir de la vie sauvage ? »